Un officiel se tient devant la loge des Einarsson. Il jette des coups d’œil nerveux à sa montre. Celui qu’il attend est en retard et cela l’agace profondément.


On entend soudain des cris d’enfants hors-champ. Un ballon de basket passe en rebondissant devant la caméra, aussitôt suivi d’un petit garçon en tenue de luchador.
Devant les yeux ébahis de l’officiel, une véritable meute, hurlante et bondissante, d’enfants débarque devant la loge. Trois femmes au physique fort agréable, mais en tenue tout à fait décente, accompagnent la bruyante marmaille. A l’attitude des femmes et des enfants, le spectateur devine aisément qu’il s’agit de trois mamans et de leurs bambins.
L’officiel, totalement hagard, semble noyé au milieu de la masse. Les trois mamans tentent de lui parler, mais malgré leurs efforts, les réclamations incessantes des gamins et le bruit général empêche toute communication.


Magnus débarque alors …
Il porte un énorme sac sur son dos, un autre accroché sur son dos, deux autres encore dans chaque main … derrière le gros sac du dos, on voit une cordelette qui relie Magnus à deux valises à roulette superposés.
Le lutteur est exténué. Et ça se comprend.
Mais cela n’empêche pas la petite horde d’enfants de se précipiter sur lui, de le jeter violemment à terre en dépit de ses vives protestations et des tentatives des trois mamans qui tentent d’empêcher, avec beaucoup de vigueur, leurs loupiots d’écraser avec un enthousiasme fort inquiétant leur piteux paternel. L’ensemble ressemble à une grosse mêlée de rugby, voire à une bataille royale … L’officiel a disparu de l’écran. Peut-être est-il sous la masse ?


Le plus grand des garçons s’arrache soudain de la mêlée, brandissant triomphalement ce qui s’avère être une clé puisqu’il fonce ouvrir la porte de la loge avec. La meute de moutards s’y engouffre comme un banc de piranhas, aussitôt suivis par leurs mères vociférant de vaines menaces.
La porte se referme avec un violent claquement.


Magnus se relève très péniblement, puis se dirige vers l’officiel, accolé au mur, et dont le visage, qui a pris une teinte livide et cireuse, ne traduit plus qu’un indicible sentiment d’effroi.

« Bonjour, heu … désolé pour le bruit… tout ça…
Je voulais montrer ma nouvelle loge aux enfants !!!
L’officiel reste figé, les yeux révulsés, les dents serrées.
« Heu ... Dites simplement à la direction que Magnus est arrivé. »
Magnus entre dans la loge, referme la porte et la rouvre presque aussitôt.
« Ah ... désolé de vous embêtez encore ... est-ce qu’il y a une machine à café quelque part ? »

Magnus est dans son petit bureau fraichement aménagé, un journaliste à ses côtés …

Journaliste : Nous voici dans le bureau de Magnus Einarsson fraichement débarqué de sa Scandinavie natale afin d’intégrer la plus que prestigieuse WWA. Alors Magnus, les choses sérieuses commencent ?
Magnus : Oui, les choses sérieuses commencent … pour la WWA s’entend. Rires gras de tout côté, cameraman inclu. Pour parler franc, je suis arrivé à la WWA parce que mon frère et moi avons des opportunités communes.

- Vous confirmez donc être uniquement là pour le titre par équipe ?
- Essentiellement oui, mais cela va beaucoup plus loin … Erik et moi sommes les porteurs des vraies valeurs guerrières : le courage, la persévérance et l’honneur …

- On vous distingue facilement, vous et votre frère : vous êtes plus âgé, plus rusé et plus agile, alors qu’Erik est tout en force. Sur le plan de l’endurance, par contre, vous êtes presque presque identiques.
- Il est difficile d’assommer Erik, il est difficile de me faire souffrir.

- On aperçoit derrière quelques photos de vos prouesses passées dans les fédérations indépendantes.
-Oui c’est ça … On me voit ici lors de mon tout premier match au lycée contre un certain Wulf … Wulf "je-sais-plus-comment"... Il m’avait cassé le bras droit en tombant dessus cette andouille. Je l’ai emporté de justesse - je n’avais presque aucune technique à l’époque -.

- Et là ?
- Ma première véritable fédé. On me voit subir ici une clé du bras droit par Gunnar le poilu dit « le Loup-garou ». Un type pas très doué, mais très fort en clé. Il m’en a dégoutté à tout jamais. En plus j’étais très rarement payé.

- Et ici ?
- « Les Hommes Forts de Scandinavie ». Une sorte de fédération-école. J’ai appris les bases là-bas. Je recommande aux débutants les courses d’endurance à-poil-dans-la-neige. Très bon pour le moral. Que des bons souvenirs. La photo montre Wolfman Sigurd, mon adversaire de l’époque. J’ai quitté la fédé après une longue feud et un « Break-the-right-hand-and-quit match».

- Tiens c’est étonnant, on dirait que …
- J’ai un peu voyagé ensuite : Allemagne, Suisse, France, Pologne, Belgique … j’ai découvert les fédérations hardcore et j’ai adoré : chaises, échelles, néons, fils barbelés, débrousailleuses, sécateurs, coussins péteurs, tronçonneuses … C’est à cette époque que j’ai rencontré des profs de high-flying qui ont un peu recadré mes techniques : « Roger-la-Lune », « Hans le Missile » et « Schmidt le Zavion-qui-décolle » ! Au début je ne me prenais que des taules, après on m’appelait pour mettre des taules !!! Et je suis parfois reparti avec la ceinture. Magnus montre une dizaine de ceintures accrochés au mur. La plupart sont un peu ébréchées, d’autres sont tachées par des croûtes de sang. Au bout d’un moment, je tournais un peu en rond. Plus de vrais challenges, sauf en handicap-matchs (et encore à trois contre un !). Je suis retourné en Scandinavie et j’ai acheté une baraque pour mes p’tites bonnes femmes et mes loupiots. Bon, y’a eu aussi mon bref passage à la NHPW… Trop bref, dommage ...

Magnus soupire.

- Ce sont vos adversaires là ?
- Oui-oui, « Beer and Wolf » - une équipe - « Black Dog Kenya » - un africain gigantesque - « La louve de Londres » – Une gonzesse qui se battait contre des mecs, coriace … - « Chakal », « Loup rouge », « Chien Blanc », « DarkWulf », « Fenris », « Cerberus » … Des bons, voire très bons, même si aucun n’a le niveau WWA.

- Mais vous affrontez toujours des chiens ou des lou…
- Là ce sont des photos de mes blessures, contre les mecs que j’ai cités ... Bras droit, épaule droite, annulaire de la main droite, poignet gauche … non droit, jambe … Ha non ! c’est encore mon bras droit.

- Heu … mais vous ne voyez pas comme une sorte de truc bizarre qui se répète à chaque fois ?
- Ben non. Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez.

- Vous avez quoi au pouce droit ?
- Oh rien un pansement … le caniche d’une joggeuse m’a mordue. Con de clébard. Elle m’avait demandé de l’aider à le retrouver et de l’attacher. Elle m’avait pourtant dit qu’il était sympa. C’est vraiment très con un caniche.

Salle de séjour dans la demeure de Magnus Einarsson. Il est aux environs de minuit. Les deux frères sont affalés sur un divan et regardent une vidéo. Devant eux une petite table basse, fort ébréchée et rafistolée à la va vite peine à supporter un immense tas de paquets de chips, bretzels et autres gâteaux salés, ainsi qu’une bonne vingtaine de canettes vides empilées les unes sur les autres.


Erik s’empare d’une canette pleine, l’ouvre d’une seule main et commence à la boire.
Il grimace.


Erik : Berk. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu prends de la bière de mauvaise qualité quand t’achètes de la bonne.
Magnus : J’aime bien les contrastes. Et t’as qu’à lire les étiquettes, espèce de couillon. Donne !
Erik : Couillon toi-même ! et tu peux courir pour que je te la file.


Les deux hommes laissent quelque secondes s'écouler, puis Erik rompt à nouveau le silence et reprends la discussion.


Erik : Bon ça fait six fois qu’on rewind le match, les conclusions sont les mêmes : on a taggé trop vite et on n’a pas pris en compte la fatigue accumulé tout au long du match.
Magnus : C’était pas non plus des tocards qu’on avait en face. Je n’aime pas dresser des louanges à ceux d’en face, mais ceux-là ils ont bien tenu la route !
Erik : Ils auraient pu l’emporter. Si Bilal n’était pas intervenu ...


Erik termine sa phrase en se pinçant les lèvres de frustration. Il tente alors de récupérer un petit paquet de curly sous la table.
Magnus en profite sournoisement pour boire deux gorgées de sa bière.


Magnus : Oui, c’est dommage... Teuheuheu !
Sous le regard suspicieux de son frère, qui se doute du larcin, Magnus manque de s'étouffer avec sa dernière gorgée.
Magnus : .. Teheuheuuuu !!! Pardon ! j’aurais bien voulu savoir ce que ça faisait de subir le finisher de l’autre.
Erik : Masochiste.


Magnus regarde son frère sans comprendre.
Magnus : ??? Je ne vois pas le rapport avec le machisme.
Erik : Maggie, tu m’agaces. Ouvres tes esgourdes quand je parle !


Erik s'enfonce dans le canapé en soupirant. Magnus reprend la parole.


Magnus : La gonzesse sous le tablier les a pas mal aidé aussi, et pis l’arbitre a eu un comportement un peu bizarre …
Erik : Tu t’arrêtes à des détails mec.
Magnus : Un détail qui m’a valu un coup dans les burnes, soit dit en passant.
Erik : Oui bon … on fera gaffe au prochain match.
Magnus : Ce serait tout de même pas mal de se donner à fond cette fois...


Erik se redresse d'un coup et fixe son frère d'un regard furieux :


Erik : Parce que tu ne t’es pas donné à fond toi ???
Magnus regarde son frère avec étonnement.
Magnus : Ben non. C’était la fête du premier sang.

Erik s'interrompt et réfléchit.
Erik : Fête du premier sang … fête du premier sang … Ah oui, c’est la fête de la nuit de noce de la déesse Frigg !
Magnus : Voilà ! et comme j’ai trois nénettes, faut bien que je sois en forme.
Erik : Je veux pas de détails … Mais t’es quand même gonflé, t’aurais pu prévenir !!! En plus avec le coup que t’as reçu ….
Magnus : Bof, j’ai vu pire. De toute façon, tu n’étais pas à fond non plus ...


A nouveau, Erik fixe son frère avec rudesse.


Erik : Quoi ? Qu’est-ce que tu insinues ?
Magnus : Quand y’a pas de titre en jeu, tu fais toujours ta faignasse. J’te connais Riki. Si y’a pas de titre, t’es pire que Thor sans son marteau …
Erik : Oui, bon ça va … Je vais chercher des bières en bas ?
Magnus : Non, c’est entrainement là.
Erik : Ah oui !!! … Heu t’es sûr que l’entrainement à minuit, le ventre plein de bouffe et de bières, c’est un truc de païen ?

Magnus se fige, visiblement outré des doutes de son frère.

Magnus : C’est un truc de guerrier, on sait jamais quand on doit se battre … faut être toujours prêt.

Surpris du ton sérieux et abrupt de son aîné, Erik se tait quelques instants avant de poursuivre la discussion.

Erik : Tu fais des combats sans y aller à fond, mais l’entrainement avec toi c’est toujours super-rigoureux …
Magnus : Un bon entrainement est ce qui me permet de prendre mes combats à la légère et puis c’est ce genre de truc qui plait aux Dieux …
Erik : Qu’en sais-tu réellement ?

L'atmosphère devient soudain plus pesante. Une tension presque palpable s'installe entre les deux hommes. Les muscles des deux hommes se tendent, près à un assaut qui semble aussi violent qu'inévitable... Magnus brise finalement le silence.

Magnus : J’ai discuté avec … Ah oui je t’ai pas raconté y’a une communauté viking dans le coin !!!

La tension retombe aussi vite qu'elle est montée.

Erik : NON ?!
Magnus : Si… j’ai rencontré leur Jarl, il s’appelle Jean-René.
Erik : Tu viens au canada, tu trouves le moyen de tomber sur une communauté de vikings dont le Jarl s’appelle Jean-René ? Non mais tu fais comment Maggie ?
Magnus : Remarque, ils ont un Skald qui s’appelle Marcel ...

Le sourire niais - mais pourtant parfaitement sincère de Magnus - fait lever au ciel les yeux de son frère .

Erik : Tu me les feras toutes, mec …Tiens y’a encore une canette pleine. Ce sera pour les Dieux.
Magnus : Oooooh ! Ah pardon ! C’est le beau geste là !
Erik : Ah encore un petit un truc Maggie …
Magnus : Oui.
Erik : Pas de moonsault sur mon estomac !!!

Les deux scandinaves se lèvent en riant.

Une caméra (embarquée) s’approche d’une vaste demeure en pleine forêt. L’esthétique plutôt conventionnelle du lieu est contrebalancée par la beauté verdoyante des alentours. L’ensemble paraît habité depuis peu et toujours en cours d’aménagement. Du côté du garage (un peu excentré et visiblement conçu pour abriter au moins trois véhicules) on aperçoit un ring en plein air, un équipement complet de musculation, plusieurs sacs de boxe, des tapis de sol, mais aussi des échelles, des trampolines, et ce qui semble être un début de parcours du combattant se finissant très très loin dans les bois. La quantité de matériel semble disproportionnée pour un seul homme, si ce n’est deux, mais il est pourtant clair qu’il est souvent utilisé.

Le véhicule de la caméra embarquée s’arrête. Et un journaliste sort.

Journaliste : Nous approchons de la demeure du frère aîné des Einarsson. L’endroit est gigantesque, amplement suffisant pour abriter une famille très nombreuse. Rappelons à nos téléspectateurs que contrairement aux rumeurs Magnus Einarsson ne pratique pas la polygamie puisqu’il n’est officiellement marié à aucune des trois femmes avec lesquelles il vit en concubinage.

Le journaliste, suivi par la caméra, s’approche de la porte d’entrée et toque.

La porte s’entrebâille. La tête de Magnus apparaît. Il a le sourire aux lèvres.

Magnus : Ah c’est vous !!! Entrez ! ça vous dérange pas si on reste à la cuisine ? je dois surveiller la popote. Ah et j’oubliais si y’a un coup de fil, faudra que je réponde … c’est l’hôpital. J’attends des nouvelles. On a eu une tentative de cambriolage hier soir et les gosses sont tombés sur les mecs avant nous. Ils ont salement morflé. Heureusement que je suis arrivé à temps sans quoi on aurait appelé un corbillard plutôt qu’une ambulance. Du coup, j’attends de savoir comment ils vont les, s’ils sont sortis du coma, tout ça … En plus, j’ai besoin d’un papier pour prouver que ce ne sont pas mes chiens qui ont mordus les deux mecs.

Le journaliste et la caméra pénètrent dans la baraque. Magnus porte un tablier de cuisine avec inscrit dessus en gros :

Aujourd’hui, c’est Papa qui cuisine !!!


Magnus : on y va ?

Journaliste : J’aime beaucoup ces photos de loups. Ils ont l’air si féroces. Elles ont été prises en Alaska ?
Magnus : Non. Juste derrière la baraque. Lui c’est Médor, lui c’est Milou, lui c’est Rintintin et lui c’est Rantanplan. On l’appelle comme ça parce qu’il est un peu con. Si vous en voyez un qui bouffe les pneus de la bagnole, y’a neuf chance sur dix que ce soit lui !

Journaliste : Heu …. Ils sont dangereux vos toutous ?
Magnus : Quand ils ratent une proie, ils sont un peu vénères, mais le reste du temps ils sont juste un peu taquins. En plus je crois qu’Erik est dans la forêt, ils vont sûrement rester avec lui.

Journaliste : Que fait votre frère dans la forêt ?
Magnus : Il vient quand il a envie, pas forcément pour me voir … il médite, il s’entraîne, il se ressource, parfois il chasse, avec les loups …
Journaliste : Hahaha ! à mains nues ?
Magnus : Oui.

Journaliste : Et il attrape quelque chose … à mains nues ?
Magnus : Une fois oui. Il a attrapé une biche tout seul. Il l’a étranglé et dépecé avec les dents. Il en a bouffé un peu et les loups ont fini le reste. J’ai même retrouvé sa montre près de la carcasse. Il s’en vante pas trop, parce qu’il a eu la courante pendant les deux jours qu’ont suivi. Du coup il a voulu chercher une rivière pour se laver et il s’est paumé dans la forêt. Remarquez ça il s’en est pas plaint : il a vu des ours, des aigles, des pumas … il est même tombé sur une communauté hippie « La communauté des adoratrices du Dieu-Cerf géniteur du monde » ! Elles l’ont nommé « avatar d’honneur du Dieu-Cerf ». Je sais pas pourquoi d’ailleurs …



To be continued ...

Salle à manger des Einarsson. L’endroit est un étrange mélange entre une salle de jeu pour gamin, avec moult nounours, jouets et autres jeux éparpillés par terre et la salle commune d’un clan viking, avec trophées en os, peaux de bêtes, armes blanches, armures …
Magnus est assis sur ce qui ressemble davantage à un trône de roi qu’à un fauteuil de père de famille. Le journaliste est assis sur des petits coussins qui semblent assez confortables, mais que la disposition et l’aménagement semblent présenter comme le lieu où s’installent les favorites d’un seigneur lorsque celui tient une réunion de doléances.

Magnus : Désolé, mon protocole d’accueil ne me permet pas de vous donner un fauteuil comme le mien. Vous n’êtes pas un lutteur.
Journaliste : J’aime pas trop être assis là. Je vois bien que ce sont les places de vos femmes.
Magnus : C’est aussi la place des eunuques et des mignons.
Journaliste : Me voilà tout à fait rassuré … Bref passons, je …
Magnus : Faites gaffe avec la caméra : la petite table basse derrière vous, là, elle tient à peine debout.


Journaliste : Bon. Parlons un peu catch là, j’ai besoin de décompresser. Si je vous dis La Ligue, vous me dites quoi ?
Magnus : La Ligue est une belle mécanique huilée. Chacun des membres se complètent très bien. Ils ont des affinités de caractère qui les rendent redoutables lorsqu’ils sont tous ensemble.
Journaliste : Et séparément ?
Magnus : Ce ne sont rien de plus que des cancrelats. Je peux vous parler avec éloge de La Ligue, disséquer ses tactiques, discuter ses principes, peser ses forces et ses faiblesses et vous montrer en quoi les premières surpassent largement les secondes. Par contre vous parler de Matthew, Ivory ou Asil, séparément les uns les autres et de façon positive équivaudrait à faire un discours en faveur de la coprophilie.


Journaliste : Et Ben-J ? Et Sean ?
Magnus : Je ne connais pas assez Sean, par contre Ben-J … Je sais qui il est et je sais qu’il représente davantage qu’un adversaire d’un soir …
Journaliste : C'est-à-dire ?
Magnus : C’est très bon combattant, doté d’un physique exceptionnel … Il est très agile, il frappe fort, il a un souffle et une énergie que peu de lutteurs peuvent se taguer de posséder et puis il a une solide expérience et une connaissance technique irréprochable. Par-delà toutes cesqualités guerrières il a un mental d’acier … C’est un vrai templier !!!
Journaliste : Vous semblez avoir de l’admiration pour lui ?
Magnus : Je n’ai pas fini … Ben-J a forgé sa détermination sur deux éléments bien distincts, la foi et la conviction d’une part, la rancœur et l’avidité de l’autre.
Journaliste : Rancœur ? Avidité ?
Magnus : J’y reviendrai … Voyez-vous ce qui différencie Ben-J des autres combattants, c’est qu’il prêt à aller jusqu’au bout. Il fera tout gagner. Il n’agira jamais sous l’emprise de la peur, par manque de confiance en lui ou par pur sadisme comme ceux de Ligue, mais je le redis : il fera tout pour gagner et il ne reculera devant aucune bassesse pour y parvenir. Il est très fort donc …
Journaliste : Trop fort ?
Magnus : Non. Comme tous les croyants du Dieu unique de l’Occident, il se brisera sur ses propres contradictions, ses doutes et surtout ses désillusions. Il croit pouvoir tout accomplir au nom du Tout-Puissant et croit que ses victoires sont les récompenses de celui-ci à son égard. Il est aveugle sur lui-même, persuadé que la ferveur spirituelle et l’abnégation guide ses gestes en plein combats.
Le désir de victoire et la rancœur qu’il ressent après chaque défaite, des sentiments qui l’animent bien plus qu’il ne voudra le reconnaître, vont petits à petits l’étourdir, le laminer, le détruire … Lorsque les défaites s’accumuleront, que ses frères d’armes l’abandonneront que croyez-vous qu’il ressentira ? Il sera persuadé que son Dieu l’a abandonné, il se sentira bêtement coupable !
Nous autres vikings sommes fiers de nos cicatrices, donnons sens à nos défaites, prenons chaque bataille pour un jeu, chaque guerre pour un aspect de la vie, chaque vie pour une simple pierre sur le long chemin d’éternité, qui est fait de victoires d’un côté et d’autant de défaites de l’autre. J’ai vu des milliers de Ben-J durant ma très longue vie, plus jeunes et plus forts que moi. Ils sont tous loin derrière moi maintenant, gisant à terre comme des tortues sur leur carapace, et leurs suppliques lointaines font échos aux cris d’enthousiasme de Ben-J, qui, tout au fond de lui, et sans pouvoir se l’avouer, commence déjà à douter …
Journaliste : Vous paraissez si sûr de vous.
Magnus : J’ai dépassé depuis longtemps l’âge où la plupart d’entre nous abandonnent, j’ai vu tellement de choses et en découvrirai tellement d’autres encore. Je peux avoir tort aujourd’hui, mais j’aurai raison demain.

Driiiiiiiiing !!!

Magnus : Ah ! téléphone ! Je reviens ! si vous croisez une petite fille avec un nounours rouge et noir surtout ne lui parlez pas, ne croyez rien de ce qu’elle dit et fuyez si possible …
Journaliste : ???


Magnus sort. Le journaliste fait comprendre par geste à son caméraman qu’il est persuadé que Magnus est complètement fou. Une petite rouquine d‘à peine cinq ans apparaît alors à la porte, elle porte un nounours rouge et noir dans les bras.


Alwine : Je m’appelle Alwine ! J’ai cinq ans ! et lui c’est Monsieur Nounours !
Journaliste : Bonjour ma mignonne (enfin un truc normal dans cette baraque).
Alwine : Qu’est-ce qu’il fait le monsieur là ?
Journaliste : Lui ? C’est le caméraman ? Il m’aide à faire un film sur ton Papa.
Alwine : Ah ? Aujourd’hui, c’est mon Papa qui cuisine …
… Je peux te dire un secret ?

La petite fille se rapproche du journaliste.
Alwine : C’est pas bon quand mon Papa il cuisine !
Journaliste : Tu m‘étonnes ma puce.

Alwine : On peut jouer à un jeu ?
Journaliste : Tout ce que tu veux Poupette !!!
Alwine : Alors voilà, je prends une corde magique, je te la mets autour des mains.
Journaliste : Hahaha … Ouch ! Tu serres fort dis donc, il s’appelle comment ton jeu ?
Alwine : Il s’appelle "Survie" ….

HÉ TOUT LE MONDE !!!
LES CAMBRIOLEURS SONT REVENUS !!!!


On entend tout d’un coup un indescriptible brouhaha venir du plafond.


La caméra se tourne vers l’entrée du salon, une horde de gamins dépareillés en surgit en hurlant. On a juste le temps de voir le journaliste se faire plaquer au sol et de comprendre que le caméraman vient de subir le même sort …

- Noir -

Magnus et le journaliste sont devant la porte. Les vêtements du journaliste sont à moitié déchirés, ses cheveux ébouriffés, ses narines sont comblés par du coton rougi et l’un de ses yeux arbore un volumineux coquart. Magnus semble heureux et serein, il regarde le ciel et hume l’air avec satisfaction. Le journaliste, la mine déconfite, l’air désabusé, passablement abasourdi par son séjour chez les Einarsson, soupire en secouant la tête d’un air perplexe. Tous deux tiennent un énorme mug de café dans la main. Le journaliste se décide à y goûter.

Magnus : C’était bien. Les gosses ont adoré, revenez quand vous voulez …
Journaliste : C’est bizarre, votre bouffe est dégueulasse, mais votre café est super-bon.
Magnus : Hein ? J’ai rien compris !
Journaliste : Je dis que votre café est très bon !
Magnus : Ah, merci ! En tout cas je dois dire que vous avez du matériel de qualité. Je me demande comment votre caméra fait pour marcher encore. D’ailleurs, je me demande comment votre caméraman fait pour marcher !

Magnus se tourne en direction du caméraman.

Magnus : Ça va mec ?
Journaliste : Fa va, fa va, v’ai vuste un peu mal à la mâfoire …
Magnus : En tout cas c’est gentil d’avoir été aussi patient avec les gosses.
Ils seraient vraiment ravis de remettre ça.

Magnus tourne la tête vers une fenêtre. La caméra suit son regard et zoome. On voit les gamins de Magnus amassés à la fenêtre, bouches et visages collés à la vitre. Même pour un observateur un peu distrait, leurs grimaces et leurs mimiques enfantines rappellent davantage une horde de piranhas d’Amazonie coincés dans un aquarium à l’heure du casse-croûte, plutôt qu’une nichée de bisounours au fond d’un pot à miel. La caméra se met à vibrer et on entend le caméraman claquer des dents (enfin ce qui lui reste).

Magnus : Tiens, mais qui voilà !!! Erik !! La chasse a été bonne ?
Erik : Salut Maggie ! Bonjour les gars, ça boume ?

La caméra revient à son point d’origine. On voit Erik, cheveux sales et ébouriffés, torse et pieds nus, un pantalon en jean fortement déchiré.
Erik se retourne pour regarder la caméra.

Erik : Ouaaah !!! Je sais pas ce qui est le plus amoché … la caméra ou le mec qui la tient ?

Magnus regarde le bas du pantalon d’Erik et met à rigoler.

Magnus : J’aime bien ton pantalon « fesses apparentes ».
T’auras un franc succès, si un jour on fait des autographes à la boite « Cuir et moustache ».
Erik : M’en parle pas ! C’est la faute à ce connard de Rantanplan !!! Il m’a bouffé le cul en me prenant pour un chevreuil. J’aime pas dire du mal de la Nature, mais ton loup là, il vraiment très très con !!!
Magnus : Tiens, c’est pas lui près de la bagnole là ?

La caméra bifurque sur la voiture du journaliste. On voit un énorme loup qui renifle les pneus.

Journaliste : Putain, il va tout bouffer !!!
Magnus : Non-non, on dirait que … Regardez, il a réussi à ouvrir la portière !!!
Erik : C’est un animal très con, donc très proche du raisonnement humain.

Magnus et Erik se dirigent vers la voiture, la caméra le suit. Ils s’approchent de la voiture avec prudence. Aucun des deux ne semblent prendre la chose à la légère. Leurs visage sont graves et leurs gestes décidés. Une aura animale et dominatrice se dégage de chacun d’eux. Magnus crie quelque chose en scandinave à l’attention du loup. Erik, à ses côtés, semble prêt à intervenir. Magnus pose un genou à terre et continue à parler au loup. Celui-ci sort de la voiture, lui lèche le cou, puis se frotte aux jambes d’Erik. Magnus lui agrippe le cou et lui murmure quelque chose … Le loup part en courant, hors du champ de la caméra. La scène aurait pu être véritablement impressionnante et spectaculaire, si le caméraman n’avait eu l’idée saugrenue de faire un zoom sur les fesses à l’air d’Erik.

Journaliste : V’ai un copain Perfiste qui va me payer fette féquence en lingots d’or !!!!

Les deux hommes reviennent. Leur allure est changée. Leurs visages sont empreints d’une dureté qui les rend méconnaissables. Une agressivité latente de prédateur émane de toute leur personne. Pas un seul son ne se fait entendre. Partout dans le monde, tous les spectateurs qui assistent à la scène sur leurs écrans, se tiennent parfaitement cois, presque paralysés. Cinq interminables secondes s’écoulent avant que Magnus ne brise enfin la glace …

Magnus : Bon, ça va, il a juste pissé sur les sièges …

Le journaliste et le caméraman souffle de soulagement, avant de comprendre les implications de ce qu’ils viennent d’entendre …

Journaliste : Bon, on va y aller là hein ! parce que là ça fait beaucoup d’émotions et j’ai pas de pantalon de rechange.
Erik : Ah au fait Maggie, j’ai déchiré un de tes sacs de boxe.
Magnus : QUOI !!! ENCORE ???? Putain tu m’en as encore déchiré un !!! t’es trop con !!! ch’suis sûr que c’est encore un sac de pieds que t’as pris pour un sac de poings espèce d’abruti !!!
Erik : D’abord tu me traites pas d’abruti et encore moins de con … De un, tous tes sacs se ressemblent … De deux, on a beau avoir un génome en commun, t’es rien qu’un gros mongolien de mes deux.
Magnus : Continue comme ça et tu risques d’avoir une grosse promo sur les baffes dans la gueule.
Erik : En ce qui te concerne, ça va être une opération spéciale !!!
Magnus : Viens donc sur le ring ! y’a une livraison qui t’attend. Que du produit frais de chez frais !
Erik : C’est ça !!! On va monter pour faire faire les courses ensemble au rayon gros gnons et légumes !!!

Les deux scandinaves se dirigent vers le ring en continuant à s’envoyer des insultes imagées et fort originales. La marmaille sort de la baraque en acclamant Erik et en scandant des « Tonton ! Casse la gueule à Papa !! » à tout va …

Le journaliste fait signe caméra à la caméra de s’éloigner le plus rapidement au loin. Celle-ci s’exécute. On voit alors Magnus hurler dans leur direction, tout en tenant son frangin avec un collier arrière …

Magnus : Ah juste une chose ! Faites gaffe en rentrant, mes gonzesses vont bientôt revenir et en général c’est pas la moins bourrée qui conduit la bagnole …

On voit le journaliste qui entre dans la voiture. La caméra est posée à ses côtés.

Journaliste : Oh merde c’est trempé et ça puuuue !!! Putain, mais quelle famille de tarés psychotiques !!! Oh mon Dieu … Hé attention à la voiture en face !!! Attention à la …

IIIIIIIIIH !!! CRAAAAASH !!!!!

- Noir -

Journaliste : Attends ! J’vais sortir.
Voix féminine : HIPS ! kez tu fous au milieu d’la route bâ… bât… HIPS … bâtard ?
Journaliste : Pardon, on essayé de vous évitez, mais … oh putain, elle m’a gerbé dessus !!!
Voix féminine : Cé ki … HIPS ! cékik’tu traites de putain, connaaard ? J’vais … HIPS ! j’vais te maraver la gueule moi !!!
Journaliste : Non je … non pitié, je …

BAAAAFFF !

Les deux scandinaves sont en train de regagner leur loge. Ils sont en sueur et couverts d’hématomes. Ils viennent de vaincre les Last Wolfs et cela n’a pas été sans mal. Le long du couloir, ils croisent des techniciens qui les congratulent. Certains se contentent de leur sourire au loin, d’autres les applaudissent franchement, l’un d’eux vient même serrer la main d’Erik qui lui rend une poignée toute aussi chaleureuse, tandis qu’un autre assène une tape amicale sur le dos de Magnus qui se met à rire.

Les frères entrent enfin dans leur loge. Erik ouvre le mini-frigo et Magnus empoigne le thermos de café posé dessus. Puis ils s’écroulent comme des masses sur le canapé. Erik ouvre sa bière, tandis que Magnus se sert un grand mug. Puis ils restent affalés de longues minutes sur le canapé, sans mot dire, le regard grave et concentré, sirotant leurs breuvages respectifs sans faire de bruit … Puis une sonnerie de portable posé sur une étagère du mur se fait entendre.

I’ve got N in my head ! I’ve got N in my head !
I see his belt, now he's in my head !!
I see his belt, now he's in my head !!
Hyperior-Hyperior !!! OOOOOh !
Hyperior-Hyperior !!! AAAAAAh !

Magnus, un peu honteux, éteint la musique de sonnerie sous le regard moqueur (et tout de même un peu déconcerté) de son frère, puis décroche. On entend un grésillement indiquant que le bruit à l’autre ligne est assourdissant et que les interlocuteurs sont nombreux. Magnus sourit, répond laconiquement, puis raccroche.

Magnus : C’était ma petite famille, ils sont fin heureux.
Ils nous souhaitent un grand bravo à tous les deux.
Erik : C’est gentil.

Magnus s’assied.

Magnus : Allez. On va pas faire de triomphalisme excessif.
On a gagné et pis c’est tout.
Erik : Ouais. On a gagné.
Magnus : On a gagné …
Erik : Putain mec , on a gagné !
Magnus : On a gagné !!
Erik : On a gagné !!!

Les deux hommes se lèvent en hurlant, puis se mettent à danser une espèce d’improbable croisement entre une gigue folklorique scandinave traditionnelle, la chorégraphie YMCA des Village People, la Queue leu-leu et la danse des canards. A cet étrange ballet s’ajoute la musique, puisque Magnus se met à soudain chantonner une sorte de version scandinave de We are the Champions, mâtiné de longs passages lyriques en vieux Norois, et dont la rythmique est assurée par les vocalises gutturales d’Erik. Le résultat final n’est pas sans évoquer aux puristes le fameux We did it ! de Dora l’exploratrice, dans une répugnante et indicible adaptation que ne renierait pas le grand Chtulhu lui-même …

Après dix minutes d’intense exaltation, les deux combattants retombent dans le canapé en rigolant comme des bossus.

Magnus : Du vrai combat ! Héroïque et tout et tout !
Faut qu’on aille raconter tout ça au barde !!!
Erik : Le barde ? Tu veux dire le vieux clodo obscène que tu m’as présenté avant-hier ?
Celui qui raconte des trucs salaces en montrant sa bite ?
Magnus : D’abord c’est pas un vieux clodo, mais un prof de fac …
...ensuite c’est pas tous les jours qu’on peut assister à un aussi émouvant hommage à la déesse de la fertilité !
Erik : Et au Dieu de la bière je suppose, voire celui de la grosse biture !
Le prochain coup qu’on le voie demande lui de faire un hommage au Dieu de la propreté.
Parce qu’au niveau odorat, j’ai largement dépassé mes limites avec lui.
Magnus : Erik, tes propos frisent l’hérésie …
Erik : Mais oui, mais oui … va te resservir un café et apporte moi une bière !

Magnus s’exécute en protestant un peu. Lorsqu'il tend la cannette à Erik son expression est devenue plus sérieuse.

Magnus : Ton pote Sean …
Erik : Y’a peut-être plus que toi pour l’appeler comme ça.
Magnus : C’est un coriace. Il a frappe vite et fort.
Il est moins bon en prise forcément, c’est pourquoi t’es meilleur que lui …
.... mais une chose est sûre si vous montiez une équipe les deux, vous vous complèteriez très bien et vous écraseriez tout sur votre passage.
Erik : Tu dis n’importe quoi …
Magnus : Il a un mental de guerrier.
Il est juste trop concerné par la victoire, et pas assez détachée d’elle pour vaincre, comme toi d’ailleurs.
C’est une bonne chose que vous vous affrontiez. Après la guerre, c’est le temps des alliances …
Erik : Et que ferais-tu, toi ? Une équipe avec Darsa ?
Magnus : Il me semble plus calme, plus paisible. Plutôt voltigeur.
Si je formais une équipe avec lui on s’enverraient souvent en l’air …
Arrête de faire cette tronche imbécile ! je parle au sens propre !!!

Magnus menace son frère du poing.

Erik : Te fâche pas, je faisais semblant … Et le Lion t’en pense quoi ?
Magnus : C’est assez flou. Je ne sais pas à quoi il joue.
J'ai l’impression qu’il mijote quelque chose, mais quoi …
Erik : En tout cas une chose est sûre, sans cet abruti d'Asil !
La victoire aurait été moins appréciable ! merci Bilal !!!
Magnus : Cette petite crotte vicieuse nous a fourni l’occasion de briller au firmament des héros ...
A deux contre trois avec un traitre avec nous ! soit un handicap ! la classe !!!
Erik : Un match avec handicapé plutôt ! Faudrait en faire d’autre avec lui !!!
Magnus : C’est un nouveau type de match : les « match-Bilal » !

Les deux frères se mettent à rire, puis Erik se tourne vers l'horloge.

Erik : Bon c’est pas tout ça. Faut rentrer.
Magnus : Ouais, j’ai deux heures d’auto-stop à me taper …
Erik : Viens avec moi, je me suis acheté une bécane.
Magnus : J’veux pas te retarder pour ta soirée. Je sais que t’aime bien fêter tes victoires.
Erik : T’inquiète mec .... J’ai largement le temps.
Magnus : Par contre, j’te préviens tu fonces pas comme un débile !
Pas comme la dernière fois, hein ! J’aime pas la vitesse !
Erik : Oui-oui …

Les deux hommes se lèvent et commencent à se changer.
Avec la fatigue et les coups reçus leurs gestes sont maladroits ...
Magnus déchire soudain son t-shirt en essayant de l'enfiler.

Magnus : Merde, j’ai plus rien à me mettre.
Erik : Mais si y’a ça là ….
Magnus : Un t-shirt “Booya-Nation” ?!! Tu te fous de ma gueule ?
C'était pour les gosses qu'on les a achetés.
Erik : Vas-y, personne ne va te voir avec …

Un peu hésitant, Magnus met le t-shirt, ouvre la porte, inspecte à droite puis à gauche et tente de sortir discrètement.
A ce moment là, Erik s’empare d’un Vuvuzella et souffle dedans.

VUUUUUUZAAAAAAAAA !!!

- Noir -

(Nombreuses voix anonymes dans le couloir) : BOOOOOYAAAAAAA !!!
Magnus : Erik, merde !!! T’es vraiment trop con !!!

Tollen et Magnus, devant la caméra. Magnus semble fatigué et attristé.

Arthur Tollen : Magnus, une défaite pour Némésis … C’est dur à encaisser ?
Magnus : Prétendre l’inverse serait faire plus que mentir … cette défaite nous affecte au plus haut point Erik et moi. Je dois l’avouer, lorsque j’ai vu Ivory et Asil repartir avec les ceintures, je me suis senti floué. Pendant un moment j’ai cru emprunter la première chaise venue, retrouver Luther et lui faire regretter d’être né, puis j’ai eu envie de partir, de laisser tomber l’univers de la WWA et de retourner en Islande.

Pendant quelques instants oui, je l’avoue à grand honte, j’ai eu le cœur tellement serré par l’amertume et le dégoût que j’ai maudit Erik de m’avoir entraîné là-dedans.

Et puis …

Et puis j’ai reçu des appels de ma famille qui m’ont réconforté, mes enfants, mes femmes … Ensuite j’ai vu que ma boite e-mail était inondée de milliers - peut-être de millions - de messages de soutien. Tous les fans, tous les Nemos sont là. Ils ont été déçus par la défaite, comme nous, mais pas déçus par nous … Et ça, ça fait toute la différence. Ce serait idiot de les laisser tomber comme ça ! ce serait même franchement minable ! Ils nous ont suivis depuis le début, on va pas les lâcher ! ça non ! On reprend l’entrainement. On va harceler la Ligue. Ils vont savoir ce que c’est que de voler une victoire aux Nemesis. Ils auront beau se cacher tout au fond de leur abbaye, ces petits moinillons, on va leur faire passer un sale quart d’heure et, le moment venu, prendre les ceintures. Et cette fois il n’y aura pas de Luther Kay pour changer la donne.

Arthur Tollen : On vous sent plus motivé à récupérer les titres qu’auparavant.
Magnus : Oui. C’est un peu ça l’effet WWA. Je suis un guerrier, pas un chevalier. A titre personnel je me fous des titres. Mais je suis pas tout seul quand je me bats : mon frère Erik est là avec moi, ma famille aussi et surtout les « Nemos », notre public, nos fans. Et pour eux bordel ! je pourrais aller chercher tous les titres du monde jusqu’en Enfer !

Arthur Tollen : Vous vous êtes faits des ennemis à la WWA …
Magnus : C’est sûr … Y’a de belles ordures à la WWA. Mais aussi des gens biens, comme Art ou NRG. Le premier est un mec d’un talent extraordinaire, du genre « tellement il en a, qu’il brille la nuit », et pourtant il est modeste, simple. On peut le croiser tous les jours, lui serrer la main, parler de tout et n’importe quoi, et c’est seulement au moment où vous le voyer rentrer sur le ring que vous le découvrez comme le grand champion qu’il est. Lunatico est un mec fort, mais très sincèrement c’était plié pour lui dès le début. Ravage, lui, c’est le bon gars aux mains larges, chaleureux, le costaud gentil sur qui vous pouvez toujours compter. Je pourrais aussi parler de Kim, qui fait petite peste comme ça, mais en fait qu’est une chic fille avec un cœur gros comme ça. Mon fils aîné en est amoureux. C’est la puberté pour lui, alors j’vous raconte pas l’état des posters … L’autre coup vous savez ce qui m’a dit ce p’tit prétentieux ? « Dans cinq ans ch’suis majeur, tu verras qu’elle aura viré Cougar. J’ai toute mes chances… » Et pis y’a les gugus marrants comme Booya … Il est complètement à la masse ok, mais il est aussi sympa que son cochon.

Les deux hommes se mettent à rire. Magnus semble avoir totalement oublié sa peine.

Arthur Tollen : Vos projets dans l’immédiat, ou pour plus tard ?
Magnus : Pour plus tard d’abord, je prépare mon émission, « Un café avec Magnus ». C’est du challenge d’organiser tout ça, mais j’ai le feu-vert de la WWA, alors quand ce sera prêt ça va défoncer sa race … Excusez du peu.

Pour l’immédiat, j’ai juste un p’tit truc à dire aux fans, des fois que ça les intéresse. Ce dimanche à Montréal, y’a comme qui dirait un festival nommé « Tribut aux vikings ». Au programme : conférences avec d’éminents historiens, animations pour les p’tits vickings, armures et drakkars reconstituées, barbecue géant, bières et barbapas à volonté, concerts avec des groupes de métal-vicking, cérémonie païenne … et pis y’a un certain Jacques Lantier dit Jacques le bûcheron, un bon mec de Montréal, qui m’a lancé un défi, alors je crois que je vais y aller pour lui péter la tronche et lui river les épaules, mais aussi pour boire de la bière, manger des saucisses et passer un putain de bon temps en famille, alors si en plus les fans sont là, ce sera une vraiment journée comme je les aime ! A dimanche les Nemos !

Zoom sur Magnus. Le scandinave adresse un clin d’œil aux fans.

- Noir -

La caméra suit les déplacements du French Brawler à travers les couloirs de la WWA. Il porte une tenue de sport et un sac sur son dos. Il est difficile de savoir s’il sort d’un entrainement ou s’il y va. Sa mine est fort terne et son regard, encore plus sombre, n’incline pas le personnel à l’arrêter pour une quelconque raison, aussi bonne et urgente soi-elle, mais plutôt à s’écarter en vitesse de son passage.

Magnus : Ravage ! Ravage !! RAVAGE !!! Attends-moi mec …

Le colosse s’arrête et soupire, plus agacé que curieux de savoir pourquoi le Trash Dad veut lui parler.

Ravage : Magnus, franchement, je suis pressé, j’ai pas le temps ni l’envie pour tes conneries.
Magnus : Oui, je sais, je sais, ta femme et ton fils sont là. T’avais parlé de leur venue la semaine dernière, ils ne restent que trois jours, c’est ça ?
Ravage : Ouais. Bye.
Magnus : Attends, attends … Tu m’excuses mais là, tu ne vas pas les accueillir l’aéroport non ?
Ravage : Non. Ils viennent en taxi dans une des maisons d’hôte de la WWA. Ecoute Magnus …
Magnus : Oui j’ai compris, sauf que t’es pas non plus en train de te diriger vers la baraque, j’me trompe ? Tu vas à la salle de sport hein ?

Le géant se mord une lèvre.

Ravage : Je vais soulever un peu de fontes. J’ai le temps. Qu’est-ce que ça peut te foutre ?
Magnus : Ecoute mec, si tu veux m’en balancer une vas-y, mais après écoute-moi. Ok ? … Je peux parler ? Tu soulèves tout le temps de la fonte, c’est un exercice que tu ne manques jamais. Et c’est le seul qui te déstresse aussi hein ? T’en as besoin pour te calmer et penser à autre chose …

Touché par la remarque, le géant détourne le regard, les yeux presque embués.

Magnus : Je sais mec ... Je sais … t’as perdu ta ceinture et ça te bousille la vie. Et là y’a ta petite famille qu’arrive et t’as la trouille de pourrir leur séjour avec une humeur de merde ? Je comprends vieux, j’étais dans le même état quand Erik et moi avons loupé les ceintures, voire pire. T’as déjà vu un grand barbu chialer comme un gosse ? Et ben t’as rien loupé.
Ravage : …
Magnus : Erik est à une soirée, viens dans ma loge, j’te fais un café.


Arrêt image. Reprise dans la loge des Nemesis. Ravage, assis sur le sofa, et Magnus, debout contre une table, discutent, un mug à la main.


Ravage : … que tu fais les cafés comme un Dieu, mais que ta bouffe c’est de la merde !
Magnus : Hein ?! mais qui c’est qui dit ça ?
Ravage : Ben un peu tout le monde, Erik, AAA, Kim, Pedro …
Magnus : Pedro ? le mec qui nettoie notre loge ? Putain je vais le faire virer. Et La Ligue ? ils disent ça aussi je suppose ?
Ravage : Non. Eux, ils disent que t’es une merde tout court ... Mais c’est vrai qu’il est bon ton café ! au début il est fort, un peu amer et vers la fin on dirait qu’il est plus doux et plus sucré. En plus, cette odeur de noisette et de coriandre, c’est vraiment incroyable …
Magnus : J’ai mélangé quatre grains différents que j’ai fait broyer et reposer à intervalles différentes. Pour les quantités, j’ai cherché un truc qui pourrait te plaire. Assez fort au début, parce que t’es plutôt quelqu’un qui aime ce qui est un peu rude, et ensuite plus doux, pour le côté détente. Bon … Sinon on fait comme on a dit ? On va vercher ta femme et ton gosse avec ta bagnole et on file chez moi. J’ai appelé mes bonnes femmes : elles sont ravies. Mega-barbecue en vue !!!
Ravage : C’est cool. Par contre faut se magner, c’est l’heure où Booya lâche Junior dans les couloirs, d’ici deux minutes ça va être un immense merdier ...
Magnus : Ok, on finit nos kawas et on y va.
Booya : BOOOOOYAAAAAA !

- Noir -

Ravage : Merde. Trop tard.

La caméra est braquée sur l’intérieur sur la cabine d’un camion américain qui roule, côté place du mort où Magnus est assis. La cabine du camion semble décorée de façon classique pour un routier (calendrier coquin, drapeau d’équipe de football …), mais aussi de nombreuses petites poupées, accrochées de ci-delà et dont la présence en un tel endroit paraît fort suspecte. Tout au long de la scène, on ne verra pas le conducteur, mais seulement parfois ses mains.

Magnus est habillé en civil, il porte un t-shirt Ravage sous une veste noire et un gros sac de sport derrière lui. Les fans savent qu’il a l’habitude de faire du stop pour rentrer. Magnus parle visiblement depuis très longtemps. Il tient dans ses mains une petite poupée qu’il triture machinalement en parlant.


Magnus : … au départ, moi j’étais super content !!! J’ai même dit à Erik « Regarde on va se battre avec un Pokémon !!! ». Dans les vestiaires, pour faire marrer tout le monde, je disais « Pika ! Pika ! » et j’lui montrais mes balloches en lui disant « En cas de problème, j’ai mes Pokeballs !!! ». Mais cet espèce de coincé du derche l’a mal pris : bouderies, doigts d’honneur, noms d’oiseaux tout ça … « Si tu passes un jour dans la vallé de la mort … gnagnagna … ton cadavre servira de couchette aux cafards … gnagnagna … je suis l’Unstable Insectoïde … et gnagnagna … ch’suis un malade psychotiques moi … et gnagnagna … » j’en passe et des meilleures. Tu vois un peu le genre : le mec il est déguisé en Casimir version Hiroshima et il se prend pour un tueur de la Mafia. Enfin bon, Erik m’a dit de pas m’en faire, de me battre à fond. C’est ce que j’ai fait. Mais Môôôôssieurs l’insecte a voulu faire sa diva et commencer la baston. Résulat, quand je lui ai succédé, je me suis pris une sacré volée dans la gueule. Bon, Erik a pu changer la donne ensuite, mais c’était juste. J’ai ramé pour dégager du ring et j’ai même placé un Enzuruigi !!! Je sais pas si je re-tenterais le coup, mais les fans ont apprécié que j’essaie un nouveau truc pour voir. J’ai reçu plein d’e-mails pour intégrer ça dans mes techniques favorites. Pour être franc, c’est un peu dur à placer … mais attention, je dis pas non, hein ! Disons que c’est à l’étude. Pour le reste, je crois que si un génie m’accordait trois souhaits, le premier serait la paix dans le monde, le deuxième un bon café et le troisième une tonne de merde sur la tête à Asil ! Ce type, plus j’y pense, plus j’ai envie de l’étrangler. Oups, j’ai niqué ta petite poupée ! J’te la rembourse ? C’est quand même marrant un routier qui collectionne les p’tites poupées ... Oh mais attends vieux, je respecte hein ! Tu fais c’que tu veux avec !!! C’est ta vie sexuelle privée !!! Pour revenir à Bilal, Je crois que même mort et enterré, ce type est tellement vicieux que t’aurais envie de l’exhumer pour lui cracher à la face. Sinon, j’te parle pas du coup de pied de Bob, parce que j’ai encore mal. C’est un gros vantard hystérique, mais il cogne fort l’enflure !!! Enfin … de toute façon, avec Tekov dans leur éuipe c’était mal barré pour nous. Tekov c’est le gars sérieux qui prend du grade et qui profite du vent en poupe. Ok, c’est une crasse, mais il a plus qu’assuré face à Tigerclaw !!! Remarque, on aurait pu gagner hein ! Malheureusement, on avait Morbak le Morpion dans notre team et comme il a un égo gros comme la lune, il a pas vu le sale coup venir … Normalement, ça m’aurait rien fait de perdre sur un plan comme ça, mais quand on se prend pour une Reine et qu’on s’habille en Maya l’abeille, on évite de patauger dans le miel !!! Ouais, je sais, c’est pas du tout clair comme métaphore, ce que je veux dire c’est que … Pourquoi tu me tends des billets mec ?

Routier : Y’a 100 dollars. De quoi se payer un taxi …

Magnus : Ben ? pourquoi un taxi ?
Routier : Parce que je veux être sûr que tu descendes au prochain arrêt.
Magnus : Pourquoi tu veux que je descende ?
Routier : Parce que tu me saoules depuis deux heures avec ton putain de catch !!! J’aime pas le catch !!! J’ai horreur du catch !!! Je conchie le catch !!! Putain, mec t’es super-grave !!! C’est la deuxième boite d’antidépresseurs que j’avale et j’ai toujours envie de me tirer une balle !!!

Magnus : Pourquoi tu m’as pas dit que t’aimais pas le catch mec ?
Routier : Je te l’ai dit. Seize fois.
Magnus : Ah ouais quand même …

Routier : Ta femme t’as jamais dit que t’étais rien qu’un gros marteau ?
Magnus : Ma femme ? J’en ai trois … D’ailleurs c’est un sacré problème. Un coup, j’ai eu trois Alertes rouges en même temps. Black-out total sur la lambada et ambiance nazi pendant quatre jours. T’imagine même pas le …
Routier : M’en fous !!!
J’arrête le camion. Tu descends.

Magnus : Ok. Bon ben … tchao ? A la prochaine ? T’es sûr pour le fric ? parce que moi perso, j’peux m’en tirer sans problème. Bon si t’insistes, j’ai plein de gamins, j’leur achète des trucs de ta part et …


Un fusil à pompe apparaît dans les mains du routier. Le canon est pointé sur Magnus.


Magnus : Ah ? t’insistes ? Salut alors.
Par contre. Juste avant de descendre, j’peux t’poser une question ? C’est comment le métier de routier ? parce que moi, j’ai entendu dire que …

BANG !


- Noir -


Magnus : Ouaaaah ! Le coup est parti tout seul ? C’est normal pour ce genre de flingue ? Avec un fusil classique, ça le fait aussi ? Pourquoi tu pleures ? mais non, j’ai rien du tout … Regarde ! c’est juste ta vitre qu’a tout pris ! Tu pleures encore ? t’es vachement sensible pour un routier, je trouve …

La loge des Einarsson. Arthur Tollen est assis en face de Magnus et Erik. Ils sont allongés sur leur sofa Némésis. La petite table est encombrée de plats à emporter : nouilles chinoises, poulet rôti et hamburger. Magnus boit un café, Erik s’empresse de finir ce qui ressemble à une aile de poulet. Un papier gras chiffonné dans la main gauche de l’intervieweur indique qu’il a lui aussi mangé un petit quelque chose.


Arthur Tollen : Alors les Nemesis, la défaite se digère ?
Erik : Aaaah mais elle se digère même très bien !!!
Magnus : Oui. Parce qu’on a perdu, mais nous on avait Beetle dans notre équipe et ça, ça n’a pas de prix !!!


Arthur Tollen : Beetle …
Erik : Oui Beetle !
Magnus et Erik :
L’UNS-TA-BLE IN-SECTOÏ-DE !!!
Magnus : Tadaaaaaamm !!!

Erik : Quelle joie ! quel bonheur, de combattre aux côté d’un si grand athlète, tellement conscient de sa valeur …
Magnus : Il m’a fait la joie de me regarder et même de me parler ! Je peux mourir heureux !


Arthur Tollen : On vous sent ironique. Vous lui en voulez pour votre défaite ?
Magnus : Du tout. C’est nous qui l’avons gêné tout au long. Forcément, nous on joue en équipe. Comme des blaireaux quoi ...
Erik : Lui, c’est un vrai, un dur !!! Même quand il se fait rivé au sol, il est excellent !!!
Magnus : On a tout à apprendre de lui. Par exemple, lui au lieu de dire « Salut ça va ?» le matin, il dit « Fous-moi la paix ! ». Génial non ?


Arthur Tollen : Vous vous moquez !!!
Erik : Surtout pas. On ne se moque pas d’un mec qui vient de la … chut …faut pas le dire trop fort … la vallée … de la … MORT !!!
Magnus : Taaadaaam !


Arthur Tollen : La vallée de la mort ?
Magnus : La vallée qu’est toute mourrute !
Erik : La vallée qui pue la mort !
Magnus : Fini Nemesis ! on va désormais devenir les valets de Beetle.
Erik : On sera les Insectoïdes Scandinaves !
Magnus : Ou alors les Unstable Einarsson !!!
Erik : Attention Maggie !!! Cri de guerre ? Ok ? Trois- quatre …
Magnus et Erik :
BZZZ-BZZZ-BZZZ-BZZZ-BZZZ-BZZZ !!!

Les deux frères se mettent à imiter un insecte qui vole en battant des bras. Puis Erik place ses deux mains en boule devant sa bouche et prend une voix caverneuse.

Erik :
Attention … Attention …
Nous .. venons ... de la ... vallée ... de ... la Mooooort !!!!
Attention … Attention ...


Tollen tente de garder son calme, puis finit par éclater de rire et fait signe à son caméraman de couper l’image.

- Cut -